Directeur de recherche dans l’unité RiverLy de l’Irstea de Lyon, dédiée aux cours d’eau et milieux aquatiques
Actu-environnement : Vous avez analysé, avec des scientifiques issus de différents pays, des représentations du cycle de l'eau utilisées pour l'enseignement. D'où proviennent-elles ?
Gilles Pinay : Nous nous sommes penchés sur plus de 450 représentations issues d'ouvrages de tous les continents, pour l'enseignement dans le primaire, le secondaire, à la faculté et même d'articles de vulgarisation de journaux internationaux, qui normalement sont là pour donner les clefs des dernières avancées de recherche pour le grand public.
Nous nous sommes rendus compte que d'une manière générale, le cycle de l'eau était mal représenté. Ce qui est assez étonnant, c'est que des cycles aussi complexes, comme celui de l'azote ou du carbone sont beaucoup plus précis et corrects.
L'enjeu est de faire percoler cette connaissance (1) du cycle de l'eau pour que tous les publics puissent s'en imprégner et mieux comprendre les enjeux actuels. Par exemple, une des idées retenue
pour faire face au manque d'eau en été est de réaliser des retenues collinaires pour retenir l'eau l'hiver : c'est essayer de répondre à un problème local sans regarder les conséquences globales. Cette eau piégée dans ces retenues collinaires étanches, ne pourra plus remplir les aquifères, qui eux soutiennent les étiages des cours d'eau pendant l'été. Et à long terme, les travaux récents de Florence Habets (2) , une hydrogéologue, montrent que la capacité de ces retenues à se remplir sera réduite lors de sécheresse longue. Au final, cette option conduira à augmenter l'intensité des sécheresses hydrologiques.
AE : Quels sont les autres manques de ces représentations ?
GP : Seulement 15% des schémas que nous avons étudiés mettent en exergue que l'homme a un impact sur la ressource en eau et 2% invoquaient le changement climatique.
La plupart du temps, les transferts d'eau entre bassins versants n'étaient pas mentionnés : le principe généralement enseigné est que l'eau s'évapore de la mer et précipite ensuite sur les terres.
En réalité, cet apport direct depuis les océans représente seulement un tiers des précipitations sur les terres émergées ; les deux autres tiers proviennent de l'évapotranspiration des plantes et des sols. C'est important de le garder à l'esprit. D'autant plus qu'une controverse se développe autour des arbres se développant naturellement le long des cours d'eau (ripisylve). Certains considèrent qu'ils pompent trop d'eau et que pour disposer de plus de ressource, il faudrait mieux les enlever. Cette vision occulte les fonctions importantes des arbres pour la vie des cours d'eau, mais également l'évapotranspiration qui amènera ensuite de la pluie.
AE : Quelle serait une représentation du cycle de l'eau plus juste ?
GP : Il faudrait diffuser un cycle de l'eau (3) qui prenne en compte aussi bien les impacts directs des activités humaines par les prélèvements et les impacts indirects par exemple par l'endiguement des cours d'eau ou le rejet des polluants. La pollution de la ressource en soustrait une partie pour l'homme car sa qualité ne sera plus adéquate pour certains usages.
L'eau qui s'évapore de la mer retourne en grande partie dans la mer. Le tiers des précipitations qui tombent sur terre va être absorbé, puis évaporé et à nouveau précipité. Mais il faut bien comprendre que les bassins versants ne sont pas des systèmes étanches les uns par rapport aux autres : il y a une interconnexion entre ces différents bassins grâce à l'atmosphère.
Autre élément à prendre en compte : le changement climatique a des répercussions et va redistribuer cette ressource avec, dans certaines zones, une raréfaction ou au contraire dans d'autres une amplification des apports d'eau par des phénomènes assez intenses.
AE : Au cours de votre analyse, vous avez également compilé les dernières estimations de la consommation d'eau de plus de 80 études scientifiques mondiales. Quels sont les résultats ?
PG : L'ordre de grandeur obtenu est que l'équivalent de la moitié de l'eau qui coule dans les cours d'eau du monde est utilisé par l'homme, soit 24.000 kilomètres cubes par an.
Cette ressource en eau retourne dans les écosystèmes mais de façon décalée dans le temps et dans l'espace. En termes de qualité physico-chimique, elle peut aussi être fortement dégradée.
AE : Disposons-nous de pistes pour améliorer la gestion de l'eau ?
PG : Des outils pourraient être remis à l'ordre du jour pour limiter ce manque d'eau. Mais ce sont des mécanismes qui prennent du temps car ils demandent des changements dans nos pratiques. C'est pourtant le passage obligé pour être résilient.
Dans le cadre de mes travaux, je regarde comment retenir l'eau dans les bassins versants, notamment grâce aux sols. Une piste : ramener du carbone dans les sols. Outre le fait de réduire les concentrations en CO2 atmosphérique, cela va permettre de d'aérer ces sols et de leur permettre d'avoir une plus grande capacité à retenir l'eau, et à alimenter les plantes.